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The Pan African Music Magazine
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Sans complexe, ڭليثر Glitter٥٥ surfe entre les rives de la Méditerranée

Entre les chaussettes à paillettes de ڭليثر Glitter٥٥ bouillonne la Méditerranée. Née à Rabat et installée en France depuis dix ans, la DJ, manageuse, et animatrice chez Rinse France sillonne, de Paris à Essaouira, les meilleures soirées. 

Photo © Lucie Hugary

Désormais installée à Paris, ڭليثرGlitter٥٥ affûte ses sélections et remixes : elle a décidé de ne pas choisir entre les musiques traditionnelles de son Maroc natal et les meilleures poussées discoïdes européennes. Ne lui parlez surtout pas de techno arabe ou d’electro orientale, pour elle ces étiquettes cornées ne correspondent à rien. Elles viennent à peine recouvrir les visions exotiques de certaines programmations bornées. La jeune selecta évolue, elle, sans œillères, bien au-delà de ce genre de barrières tropicalises. De la techno au raï en passant par le chaâbi, elle fait feu de tout bois en mode décomplexé.

Exil, nouvelle donne des festivals au Maghreb, jeunesse en mouvement… Celle qui carbure à la double-culture nous a fait part de sa vision du geste musical, qu’il vienne d’ici et ailleurs.


Sama’, Arabstazy, Hello Psychaleppo, Deena Abdelwahed… La diffusion des musiques électroniques panarabes semble souvent se jouer hors-sol.

ڭليث Glitter٥٥ , quel regard portes-tu sur cette dynamique… un peu étrange ?

Je suis arrivée il y a dix ans en France. Pour mes études. J’ai découvert le mix et les DJ sets complètement par hasard, en passant deux morceaux un soir pour un ami qui devait faire la billetterie à ce moment-là. J’ai toujours eu une importante sensibilité musicale et je voulais bosser dans la musique, aujourd’hui à côté de ڭليثر Glitter٥٥, je manage des artistes et je m’occupe également de Fissa. Je fais aussi partie de Address Hymen… Bref au départ, je voulais juste partager la musique avec laquelle j’avais grandi. Donc tout ça a commencé avec des mixes de vieilles musiques traditionnelles et des choses électroniques plus actuelles. Mais très naturellement en fait. Et là, ça a été plutôt vite. Cette esthétique, si on peut parler d’esthétique, avait grave le vent en poupe à ce moment-là et les programmations se sont enchaînées pour moi. Je me suis retrouvée dans des soirées labellisées “techno arabe”, avec des gens hyper bornés, simplement attirés par la dimension exotique, de sonorités comprises comme “orientales”. Aujourd’hui, je refuse le jeu de ces programmations dites “electro orientales”. Je suis heureuse que les gens kiffent la musique de nos pays d’origines mais nous devons faire comprendre que ce que nous faisons va bien au-delà. Ça suffit les dromadaires et les percussions, on sait faire autre chose. J’espère que sur le long terme, les artistes originaires du Maghreb seront reconnus pour leurs qualités intrinsèques, et pas uniquement parce qu’ils samplent du chaâbi ou du raï. 
 


Comment manipuler et empoigner justement cet héritage musical, à l’heure notamment où la Tunisie, l’Algérie ou l’Égypte connaissent d’importants revirements politiques. En filigrane se dessine aussi la question de l’archive, de la transmission… Quelle responsabilité peuvent porter les artistes dans ces contextes historiques très mouvants ? 

Tu trouveras plein d’artistes au Maghreb qui n’ont absolument rien à faire de la musique traditionnelle de leur pays d’origine, je n’ai pas de problèmes avec ça. Moi, il se trouve que je suis sensible à ces musiques. Elles me touchent. Surtout l’héritage chaâbi. Ainsi que d’autres musiques folkloriques de certaines régions du Maroc, qui sont relativement bien protégées au niveau local. Moi, ce qui me foutrait en l’air, ce serait par exemple qu’un label débarque, enregistre, bref se serve en musique pour repartir en vitesse, sans considération ni respect pour les musiciens locaux. En mode pillage musical, tu vois ? Je pense que nous pouvons être des passeurs. Ça ne peut pas être notre seul geste, nous ne sommes pas des portes-voix, mais des passeurs, oui. Quand Rinse vient me chercher, ce n’est pas pour faire des émissions sur l’orientalisme dans l’electro. Au contraire, j’y suis conviée sans aucune contrainte ni censure. Ce qui ne m’empêche pas de passer les disques qui ont bercé mon enfance, de faire plaisir à ma famille qui est connectée au Maroc sur Rinse France et qui va kiffer sur des morceaux-clins d’oeil que je peux passer. J’ai aussi envie de leur faire plaisir, c’est une forme de connexion que je maintiens entre les deux rives. 
 

© Antoine Henault


D’une rive à l’autre, te sens-tu en exil ? Culturel en tout cas…

Je ne sais pas. Je me suis beaucoup rapprochée de ma propre musique depuis que je suis en France, ça, c’est clair. Dans mon cas c’est lié à des souvenirs, familiaux notamment. Mais il y a tant d’histoires de vie différentes… Je dirais qu’en termes de musique, pour un Maghrébin en France, il y a trois types d’expériences. Tu as l’expérience du Maghrébin qui a émigré en France, mais à l’âge adulte, celui qui est né en France et moi, c’est-à-dire les étudiants. Nos approches culturelles sont tellement différentes ! Ma propre expérience musicale n’a rien à voir avec celle du Maghrébin né en France. Concrètement, les galères sont différentes, les contextes d’arrivées sont différents. En tant qu’étudiante, je suis arrivée régularisée sur le territoire français. C’est une forme de privilège finalement. Cela ne m’empêche pas d’être confrontée à des situations horribles, mais, quelque part j’ai déjà été prévenue avant d’arriver, je sais à quoi m’attendre. Rien à voir avec un adulte qui arrive ici sans papiers par exemple. En fait, les musiques raï et chaâbi permettent un partage culturel commun, entre tous ceux qui galèrent. Mais les ressentis diffèrent. J’ai découvert certains morceaux au Maroc, avec ma famille, alors que d’autres ont découvert ces mêmes morceaux en France, dans la rue, dans la détresse. Pour ceux-là, la même musique va endosser une tout autre résonance. Et appeler alors de la nostalgie, les souvenirs du pays. Et là, on n’évoque simplement un simple rapport à la musique, je te parle pas du reste. 
 

© Moga Festival


ڭليثر Glitter٥٥, on s’est croisés il y a peu à Essaouira, lors du Moga festival. L’événement se tenait au dans un grand hôtel, et le prix d’entrée correspondait à peu près au SMIC local. Penses-tu que la diffusion live des musiques électroniques soit condamnée au Maroc à des lieux privés, souvent déconnectés des réalités locales ? Où faut-il y voir une étape, un premier pas vers des initiatives plus ouvertes ?

J’ai le sentiment que pour les musiques électroniques, ce sera toujours un peu le cas au Maroc. Tant que les opérateurs, acteurs et leaders de ces événements ne font pas le travail de mise en lumière, de médiation en direction des instances du Ministère de la Culture, la situation restera la même. Ces instances doivent comprendre l’importance et le dynamisme des scènes locales, des jeunes talents, des artistes marocains. L’offre ici est actuellement partagée entre le Moga, l’Oasis Festival ou l’Atlas Electronic, des festivals de musiques électroniques qui ne sont pas issus d’initiatives locales, mais sont en réalité des coproductions internationales, et un événement comme L’Boulevard, porté par une association qui ne peut pas bénéficier de programmations tard dans la nuit.


La question du débit d’alcool peut également être un vrai frein ?

Mais les questions des débits d’alcool, de voisinage, la gestion de la police locale, l’éducation en général constituent des freins très importants pour le développement de la scène électronique. Les festivals, c’est pas Sheitan. Ce sont des lieux d’émancipation pour la jeunesse* marocaine. Une jeunesse qui n’a pas d’autres moyens d’expression d’ailleurs. Une jeunesse qui attend la tenue de trois, quatre événements annuels, trop souvent complètement déconnectés de la réalité du pays. Mais tout le reste l’année, que se passe-t-il concrètement pour eux ? Quasiment rien. Il n’existe pas de dispositifs culturels attrayants. Les “Centres de jeunesse” sont complètement abandonnés. Certes, cette jeunesse peut trouver refuge au Goethe-Institut, au British Council ou dans les Instituts français… Mais cela ne suffit pas. Nous manquons de lieux, cette question est publique, et la problématique revient d’abord au Ministère.

* Les 15-34 ans représentent un tiers de la population marocaine

ڭليثر Glitter٥٥ est sur SoundCloud, ses différents podcasts pour Rinse sont soigneusement rangés, ici.

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